La Conscience

Lorsque avec ces enfants vêtus de peaux de bêtes,
Echevelé, livide au milieu des tempêtes,
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Comme le soit tombait, l'homme sombre arriva
Au bas d'une montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors d'haleine
Lui dirent : "Couchous-nous sur la terre, et dormons. "
Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
Il vit un oeil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
Et qui le regardait fixement.
"Je suis trop près", dit-il avec un tremblement.
Il réveille ses fils dormants, sa femme lasse,
Et se remit à fuir sinistre dans l'espace.
Il marcha trente jours, il marche trente nuits.
Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
Furtif, sans regarder derrière lui, sans trève,
Sans repos, sans sommeil ; il atteignit la grève
Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
"Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. "
Et, comme il s'asseyait, il vit dans les cieux mornes
L'oeil à la même place au fond de l'horizon.
Alors il tressaillit en prois au noir frisson.

Victor Hugo (1802 - 1885)